Mon cher Raymond,

Il y a maintenant trente-six ans que je te connais.  Notre première rencontre eut lieu dans la bibliothèque du grand séminaire dont tu étais alors le conservateur, comme on dirait en France. Mais quel vilain mot quand il s'agit de toi! Conserver était sans doute une de tes préoccupations, garder l'héritage te tenait sans doute à coeur, mais combien plus encore tu voulais l'enrichir. Aussi savais-tu accueillir et porter jusque dans ta chair les questions qui travaillaient les chrétiens. Aucune ne t'a été étrangère. Et cette familiarité ne fut pas seulement celle d'un intellectuel aguerri à la controverse, mais celle d'un homme fraternel sachant atténuer par l'humour l'acuité de sa dialectique. Tu as quitté cette institution pour entrer à Radio-Canada où tu as apporté ton amour du Christ et de l'Eglise. Ami intime d'artistes, de penseurs et d'hommes d'action qui ont façonné le visage actuel de la société québécoise, tu as fait de ton appartement un lieu d'échanges et de discussions. Tu as su accueillir les opinions les plus contraires aux tiennes, sans jamais dissimuler tes positions. Ta franchise, chacun le sait, n'est pas inspirée par l'intransigeance mais par une ardeur bienveillante qui te dicte de ne pas dissimuler la vérité à ceux que tu aimes avec une intense liberté. C'est dans cet esprit que tu as produit, pour le compte de Radio-Canada, l'émission Rencontres. On ne saurait trop dire que si j'ai été un des animateurs de cette émission, tu en as été véritablement l'âme. Pour toi, au sens où l'entendait l'auteur de la lettre à Diognète, invisible mais intensément présent, donnant sens et cohésion. Pour ma part, je te remercie de m'avoir permis ainsi de donner forme à un sacerdoce que j'avais voulu dès l'origine être service de la Parole de Dieu au milieu des hommes de ce temps. Laïc engagé dans le monde, tu as été témoin de l'Amour que le Christ nous a insufflé et de cette Vérité qui nous rend libres, soutenant ainsi par toute ton action notre marche vers cette Terre nouvelle où il n'y aura plus ni pleurs ni deuils mais la seule joie exultante de ceux que réunit dans le Père, au-delà de ce qui les sépare, l'Esprit du Fils qui habite en nos coeurs.

En totale et profonde amitié,

Marcel